« Nous étions en paix comme nos montagnes
Vous êtes venus comme des vents fous.
Nous avons fait front comme nos montagnes
Vous avez hurlé comme les vents fous.
Éternels nous sommes comme nos montagnes
Et vous passerez comme des vents fous. »
C’est de ce poème, « Impromptu », de l’arménien Hovhannès Chiraz (1915-1984) que Clara Arnaud a tiré le titre mystérieux de sa tragédie pastorale contemporaine en trois actes : Remonter, La part sauvage, Les ordres de la nuit.
D’où viennent les vents fous qui soufflent sur la montagne pyrénéenne ?
Sont-ils suscités par la volonté d’organismes officiels d’importer des ours pour régénérer le milieu montagnard, soutenus par les rapports de chercheurs éthologues plaidant le maintien dans les montagnes d’un animal mythique source de rêves et d’ancestrales terreurs ? Sont-ils entretenus par les instincts prédateurs de l’animal sauvage attaquant les troupeaux de brebis ? Sont-ils attisés par les chasseurs prompts à régler à coups de fusil des situations mettant en danger éleveurs, apiculteurs et même randonneurs ? Sont-ils les effets de la violence climatique et environnementale – sécheresse, orages et brouillard, crêtes rocheuses, falaises à pic, sentiers au bord du vide – à laquelle se confrontent les bergers, ces oracles des montagnes. Ils pérennisent chaque été la transhumance d’une centaine de bêtes surveillées, soignées, guidées par un seul homme, ses chiens et ses patous, race particulière, élevés au milieu des brebis qu’ils protègent contre tout ce qui n’appartient pas à leur domaine familier.
Désertée depuis plus d’un siècle par ses habitants, recouverte par la forêt, tenue à l’écart des villes par l’insuffisance de ses infrastructures, la montagne se tient ainsi désormais « aux marges d’un monde et au début d’un autre, que ne gouvernent pas seulement les lois humaines. Ceux qui le peuplent sont des êtres de lisière. »
Jules le montreur d’ours, Gaspard le berger, Alma l’éthologue
C’est dans cet univers où l’homme se confronte à ses limites et à son rapport au sauvage que Clara Arnaud nous invite à pénétrer, à travers des personnages dont le destin se croise au fil d’un été mouvementé. Elle ancre son sujet dans l’Histoire, à travers la figure de Jules, le montreur d’ours, célébrité du village d’Arpiet où il avait capturé une oursonne à la fin du XIX° siècle et d’où il était parti pour connaître avec elle la gloire, à New York. Gaspard lui, est revenu avec sa famille dans ses Pyrénées natales dans les années 2000, après dix ans en Asie Centrale et à Paris. Il a conquis la confiance des éleveurs pour conduire les bêtes sur l’estive et en particulier l’amitié de Jean, l’ancêtre, prêt à lui transmettre son troupeau. Alma, l’éthologue, fascinée par les ours qui hantent ses rêves, se voue à l’étude de leur comportement. Elle se heurte tout autant à l’incrédulité de François, son chef au Centre national pour la biodiversité, dubitatif sur l’utilité de ses recherches qu’à l’hostilité des montagnards ostracisant « la fille-aux-ours ».
« L’ourse était une reine, Alma rêvait de vivre sous son règne. «
Une ourse majestueuse est en effet le point de convergence des intérêts, des conflits, des errances de tous les personnages à travers ces paysages de montagne, tour à tour magiques et effrayants. Elle hante ce territoire avec ses deux oursons maladroits et menacés par un mâle infanticide. Elle tue parfois une brebis ou un agneau du troupeau mené par Gaspard, réveillant les peurs ancestrales, et des émotions ambivalentes chez le berger qui a connu d’autres contrées où le chamanisme fragilise la frontière censée séparer l’homme de l’animal. Alma, elle, s’identifie à l’ourse, rêve de se glisser dans sa peau, de devenir à son tour animale.
Situé dans une France très contemporaine, ce roman puissant, sensible et prenant conduit son lecteur au point de convergence où se situe, également, Daria, la chamane qui a guidé en terre Even (Kamtchatka) l’anthropologue Nastassja Martin, après sa rencontre avec l’ours : « nous les humains, sommes entre les deux, comme des ponts. Honorer notre humanité en ce sens, c’est se placer à cet endroit précis, au point de jonction entre ciel et terre, entre animaux et flux, en conscience des intentions, du regard et des mots posés dans le monde. »
Références
- Clara Arnaud, Et vous passerez comme des vents fous, Actes Sud, 2023. (Prix Mouans-Sartoux du Livre engagé pour la planète 2023)
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