Montagne-Catherine-Poulain | Aliette Armel

Placé, à L’ombre d’un grand oiseau, sous le signe de sa proximité avec le monde animal, le récit autobiographique de Catherine Poulain se révèle poignant par ce qu’il révèle – ombres et lumières –  d’une existence portée par le désir d’intensité et d’authenticité.  Enthousiasmant par la capacité de l’écrivaine à transmettre au lecteur sa force et son désir de vie, il tend vers l’envol, celui des oiseaux des tempêtes traçant dans le ciel les voies de la liberté.

Visage

« Son visage buriné et découpé renforce l’intensité de ses yeux clairs qui ne lâchent rien. Jamais. » C’est ainsi qu’en 2016 j’introduisais une note sur le Grand Marin, roman au succès fulgurant qui plongeait ses lecteurs dans l’univers rude de la grande pêche en Alaska, vécue par une française d’apparence fragile, mais obstinée à se « battre pour quelque chose de puissant et beau », et prête à « risquer de perdre la vie [pour] au moins la trouver avant ».

Poulain_Catherine-portrait | Aliette Armel

Retrouver Catherine Poulain

Sept ans plus tard, Le Grand Marin est devenu un film, son troisième livre L’ombre d’un grand oiseau vient de sortir aux éditions Arthaud et nous nous retrouvons, Catherine et moi, au Festival du livre de Mouans-Sartoux, comme si nous nous étions toujours connues, comme si nous ne nous étions jamais quittées, alors que nous nous sommes rencontrées à peine trois fois et que nos modes d’existence se situent aux antipodes l’un de l’autre.

Elle est ancrée désormais dans le Médoc mais cette « femme intranquille » ne cesse d’explorer les limites physiques et mentales de l’être, se vouant à la taille de sa vigne comme autrefois à l’épuisante levée des casiers remplis de crabes ou de poissons, errant souvent la nuit en quête des mots les plus justes pour dénoncer « l’ensauvagé mis en vivier » et évoquer « son autre moi qui n’est pas moi » : une petite fauconne blessée. Elle l’a recueillie, comme tant d’autres animaux depuis sa prime enfance, pour la soigner et la rendre ensuite à son univers libre et sauvage : celui auquel Catherine se sent – depuis toujours – appartenir.

« Je suis animal, écrit-elle dans L’ombre d’un grand oiseau, Tout est animal en moi, dévoyé. Ma bouche est créature inquiète, mi-amphibien, mi-poisson. Ses lèvres dénudées sont proies. Elles ont peur. Les abriter, derrière un voile ou une écharpe, refuges pour mes salamandres. J’étais, je suis, je ne sais plus. Je fus têtard baignant dans les marées tièdes d’un ventre, grenouille lorsqu’on m’a tirée de mes eaux obscures. Agneau, je pleurais ma mère dans le désert des nuits. Je courais, poulain fou, vers la frontière interdite ».

Surmonter la peur

Catherine Poulain vit dans son corps, dans ses sensations, ses pulsions, ses réactions face à son environnement naturel et humain, la fragilité des frontières avec le « règne animal ». Pour elle, ce n’est pas de la science-fiction (comme dans le magnifique film de Thomas Cailley, Le règne animal ), c’est son existence même. Depuis sa petite enfance où elle découvrait sa part animale dans la douceur et la cruauté de l’extermination des fourmis jusqu’à l’intimité vécue avec une mouette bancale alors que dans l’hôpital voisin, elle accompagnait sa mère en train mourir. Le sauvage est en elle. Elle l’éprouve, elle le vit. Au milieu de « la trinité lumineuse – ma famille, la nature et Dieu –» au sein de laquelle s’est déroulée sa petite enfance montagnarde ; au cœur d’une bataille avec sa chienne Zita qui a manqué de la noyer dans la rivière La Broye ; en affrontant, au plus profond de son corps, ce qu’elle appelle « le monstre du Mal », « l’animal qui l’habite et la dévore », une maladie qui lui a valu de longues hospitalisations, des cures de Valium, et même de subir l’emprise d’un médecin-prédateur.

Poulain-Lombredungrandoiseau | Aliette Armel
« C’est beau la vie »

« Je parle de toi », dit-elle en s’adressant à la petite fauconne, « mais n’est-ce pas moi-même que je raconte au fond ? » L’ombre d’un grand oiseau est un récit autobiographique qui emporte son lecteur sur la houle puissante d’une langue, née en bord de mer, lorsqu’une enfant dont l’âge se comptait à peine en années pleurait la mort d’une mouche. « Tout était de ma faute déjà », se souvient Catherine Poulain.

Au fil d’aventures humaines tout autant qu’animales, du sauvetage d’un albatros à l’envergure gigantesque piégé par la glue d’une marée noire jusqu’au vol des oies sauvages et des grues cendrées guidant le regard au-delà de l’horizon, le récit rugit des combats intérieurs tout autant que physiques d’une femme parcourant inlassablement les routes de la terre et de la mer, « vibrant dans sa chair jusqu’au vertige », au bord de la rupture, portée par un désir de vivre « au-delà d’elle-même » qui résiste à tous les désespoirs.

Envol

Sa conscience aigüe de la proximité de l’homme avec la sauvagerie animale ne la protège pas des questionnements sur la responsabilité humaine, sur les ravages du désir de possession, sur la mort qui peut surgir au bord du chemin tué par plus puissant, alors que même les mots échappent et s’envolent, loin de ce monde, confrontant Catherine Poulain à la tentation de « rejoindre le silence des bêtes ».

Mais non le livre est là, publié. L’ombre d’un grand oiseau fait à nouveau résonner la voix authentique et singulière de cette femme hors du commun, au parcours de vie atypique, dont la force, en ces temps troublés, s’avère un partage plus que jamais nécessaire.

Références

  • Catherine Poulain, « L’ombre d’un grand oiseau », Arthaud, 2023.
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  1. Legrand 31 octobre 2023 à 16 h 13 min-Répondre

    Drôle d’oiseau que cette catherine Poulain . Son livre le grand marin m’a fasciné et son rapport avec de grands oiseaux quelque peu mazoutés ! Elle qui ressemble à un petit gravelot des sables face à la caméra de l’interviewer !

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