Dans les montagnes népalaises, les sanctuaires bouddhistes – « lieux clos où semble se concentrer toute la lumière du monde » – sont des espaces emplis de vie autant que des refuges. Nous sommes invités à découvrir celui de Bodnath.

Les soirs de pleine lune, des parterres de bougies, de simples mèches dans leurs coupelles en terre cuite, illuminent l’impressionnant stûpa depuis les tréteaux des marchands qui le bordent. Le flot des pèlerins, habituel en plein jour, envahit en soirée ce chemin circulaire que forme la kora autour de son large socle. Chacun, tient d’une main son petit lumignon, et de l’autre frôle les gros cylindres à prières, nichés sur son pourtour, dont les reflets cuivrés s’animent à leur passage. Les yeux bleus des bouddhas, peints sur les quatre faces du bloc carré le surmontant aux quatre points cardinaux, continuent de fixer intensément cette foule tournoyante, concentrée, rapide. Robes longues tibétaines, chapeautées de couleurs, châles et chapelets de ces hommes et de ces femmes se fondent dans la nuit, sous les guirlandes des drapeaux de prières tendues au-dessus de l’immense dôme blanchi, ne faisant plus qu’un avec lui, dans ce ciel encore limpide au couchant.

Des haut-parleurs invisibles diffusent des mantras monotones qui semblent venir de loin. Tandis que j’éprouve le besoin d’en remonter la source, ballotée par la foule qui marche droit devant elle, sans jamais s’arrêter, ou le désir de m’échapper de cette ivresse de pleine lune, mes yeux se lèvent vers la terrasse du petit temple sur le bas- côté, d’où sortent les sons magiques. Contrairement au stûpa étalé sur l’esplanade ouverte vers le ciel infini, ce temple s’enfonce dans les replis d’une vie religieuse cachée dont j’ignore encore tout. Mes pas se dirigent alors à tâtons vers un escalier à peine éclairé. J’en gravis les marches incertaines de bois sombre, débouchant à l’étage sur une courette dans le noir.

De face, une verrière s’ouvre sur une pièce étroite qui brille de mille feux lorsque j’y pénètre. A l’intérieur, debout, un moine surveille une profusion de lampes à beurre, posées en rangs réguliers sur une longue table au centre, ainsi que sur de simples étagères, à différentes hauteurs et contre le pourtour des vitres embuées. Les lampes luisent l’une contre l’autre dans cet espace exigu, où je circule à peine entre les rangées lumineuses. Les flammèches vacillent et renaissent sous mes yeux, dans ces bols sur pied en métal jaune, remplis à ras-bord de ghee fondu. Parfois, un tourbillon de fumée s’en élève un court instant, avant que le moine n’en réveille la flamme d’un léger souffle, puis d’un geste couvrant de ses deux paumes, signe de prière. L’odeur âcre du filet de fumée se mue alors en un crépitement subtil, de chaleur, de vie.

Oscillantes, les flammèches m’encerclent de leur lumière dorée, éblouie, presqu’irréelle. Leur splendeur m’étreint dans ce lieu clos où semble se concentrer toute la lumière du monde. Leur reflet vibrant, démultiplié, inspire la paix, invite à cette clarté intérieure. J’apprendrai plus tard que cent petites lampes à beurre y brûlent ici en permanence selon la tradition bouddhiste, symbolisant l’éveil de l’esprit à cette sagesse, à cette connaissance.

*Le Stûpa de Bodnath est l’un des principaux sanctuaires bouddhistes de la vallée de Kathmandu
*La Kora en tibétain est la circumambulation à pied d’un lieu de pèlerinage
*Le ghee est un beurre clarifié utilisé dans les lampes à beurre, pour les offrandes et les rituels.