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Carte du relief de l’Islande – Image extraite de maps-for-free

C’est un couple solaire. Pas seulement du fait de leur blondeur commune, de leur sourire éclatant, de leurs yeux rieurs, profonds et déterminés, mais aussi parce que la chaleur joyeuse qui passe entre eux se communique, franchit la table les séparant de leur public pendant l’entretien ou au moment des dédicaces. Jón Kalman saisit fraternellement le bout des doigts tendus par un de ses lecteurs. Sikká (c’est le diminutif de Sigríður) s’applique à rendre sa graphie islandaise lisible pour des français. Ils ont le souci de leurs lecteurs comme ils sont attentifs l’un à l’autre, lui l’écrivain à la réputation et aux tirages imposants (35 000 exemplaires ont déjà été imprimés de son neuvième roman Mon sous-marin jaune), elle l’ancienne journaliste de la télévision islandaise que la France découvre vraiment avec Éruptions, amour et autres cataclysmes, même si c’est son troisième roman traduit. L’entretien est parfaitement fluide. Ils se complètent harmonieusement, dialoguent avec leur excellent interlocuteur de la librairie Le Divan, Yann Brancherie. Ils plaisantent et interagissent avec leur ami et traducteur Éric Boury

Ils ont en commun la passion de la littérature, l’amour de la poésie et de la musique, un indéfectible attachement à l’Islande et un grand sens de l’humour. Ils les font partager au public attentif et chaleureux qui se presse dans les allées de la librairie en ce dimanche matin glacial. Un moment d’exception, parenthèse dans notre monde secoué de cahots. Les livres permettent heureusement de prolonger l’instant et leurs échanges. En voici quelques extraits pour ceux qui n’ont pu être là.

stefansson-Bjornsdottir-signature | Aliette Armel

Le moment déclencheur de l’écriture

Sikká (Sigríður Hagalín Björnsdóttir) est formelle : « L’étincelle qui a donné naissance au livre, c’est tout simplement l’Islande. J’ai été journaliste à la télévision en Islande et les plus beaux reportages se réalisent sur le site d’une éruption. » Elle juge ces éruptions très belles et en même temps absolument terrifiantes. Elles représentent aussi une force positive, qui construit l’île en en modifiant la carte par ses apports de matière. Sikká a donc trouvé dans les éruptions la parfaite métaphore pour parler de l’amour : positif, constructif et en même temps porteur d’une grande force de destruction.

Jón Kalman (Stefánsson) ne nie pas qu’il savait, dès l’origine de ce livre, qu’il serait très autobiographique avec pour personnage central le même petit garçon qui figurait déjà dans deux de ses romans. Mais en littérature, affirme-t-il, « on n’est maître de rien.  Et peu importe l’idée au point de départ du livre. Finalement ce qui sort de votre crayon à papier, c’est quelque chose de tout autre que ce que vous aviez initialement prévu. En d’autres termes je ne sais jamais si c’est moi qui suis en train d’écrire de la littérature ou si c’est la littérature qui m’écrit. Évidemment en écrivant ce livre, je savais que je parlais de choses ou d’événements liés à mon existence personnelle. Mais quand je suis en train d’écrire, je ne me pose pas la question de savoir si j’écris une autobiographie ou pas. La littérature a une puissance telle qu’elle est capable de changer une autobiographie en quelque chose de complètement différent. »

La puissance de la littérature

Sikká, a été journaliste, un choix fait très jeune pour comprendre enfin le monde. Elle a toujours aimé son travail de journaliste et ne souhaitait pas en changer. Mais elle a eu l’impression « que quelque chose grandissait dans son for intérieur, » l’appelant à combler un manque. Et une idée lui est venue. « J’ai imaginé que l’Islande devenait une île totalement isolée, coupée du monde extérieur sans qu’on sache pourquoi. J’ai porté cette idée pendant une dizaine d’années en espérant qu’un bon écrivain s’emparerait de cette histoire ». Et elle a fini par l’écrire, publiant ainsi son premier roman, L’île. Une évidence s’est imposée à elle : pour comprendre le monde, il fallait aussi recourir à la littérature. « L’écrivaine qui vit en moi a fait dégager la journaliste.  Ce n’est pas moi qui ai décidé. C’était un peu comme une éruption. »

Jón Kalman considère que « la littérature englobe tout. Il y a 20 ans, l’humanité pensait que la science avait toutes les réponses. Mais ces dernières années de multiples découvertes en science, en astronomie etc…, ont montré qu’en fait nous ne savions et ne savons rien. Nos idées sur notre univers qui est d’une complexité incommensurable sont extrêmement primitives. Le seul endroit où l’univers est décrit comme il est réellement, c’est dans la littérature. Alors oui, l’espace littéraire englobe tout. »

Jón Kalman Stefánsson, Mon sous-marin jaune

« Un poète écrivain se retrouve au mois d’août dans un parc à Londres non loin de Paul Mc Cartney qui est en train de lire un livre. Il veut lui poser une question, mais renonce dans l’immédiat et se plonge dans une déambulation de mémoire, de souvenirs, d’humour jusqu’à ce que, peut-être, sa question soit posée. » (Yann Brancherie)

Stefansson-Jon-Kalman-livre | Aliette Armel

Le quotidien dans tous ses détails

L’animateur du débat, Yann Brancherie, a été très sensible aux scènes pleines d’humour qu’il a découvert dans le roman de Sikká : « Avez-vous vraiment croisé tous ces gens en Islande ou est-ce seulement pure imagination « , lui a-t-il demandé. ?

Sikká a affirmé s’être inspiré de nombreux détails tirés de scènes paraissant délirantes, mais dont elle a été le témoin. Elle met en scène des géologues qui sont, en Islande, de très bons conteurs d’histoires, ou des vulcanologues qui allument leur cigarette sur la lave incandescente ou glissent sur cette même lave en surfant sur une plaque plus froide. Elle a vu des touristes se rendre jusqu’au site de l’éruption « pour faire griller de la viande tout en buvant du champagne. Quand il s’agit d’éruption, la réalité est souvent plus ridicule qu’on imagine. » Et face à l’étonnement de Yann Brancherie qui « croyait que les héros de l’Islande c’était les poètes, alors qu’en fait, ce sont les géologues ! », elle répond que ce sont les deux car « il y a des vulcanologues qui sont aussi poètes et pour Jón Kalman, les éruptions, ce sont des poèmes.

Jón Kalman pense en effet que, « fondamentalement, le monde, l’univers et le quotidien ce sont des poèmes. Seulement on n’a pas forcément le regard qu’il faut pour le voir. Le quotidien déborde de choses bizarres, étranges et la réalité est souvent plus ridicule qu’on peut l’imaginer, que ce soit de manière positive ou négative. Et il y a tous ces petits détails du quotidien que parfois nous oublions de voir. Par exemple, un enfant qui poursuit un rayon de soleil traversant la vitre.  Cette vision… c’est peut-être le plus beau poème qui puisse être composé ce jour-là. Ce que je me contente de faire, c’est de décrire la réalité telle que moi je la vois. Et j’essaie de nous rappeler, à vous comme à moi, que notre vie est aussi un poème. Les poèmes peuvent être géniaux, merveilleux, mais ils peuvent aussi vous causer un inconfort et même se révéler presque une menace. N’oubliez pas, en commençant votre journée, de boire un café et aussi de lire un poème. Ça vous prendra une demie-minute. Mais ça vous connectera directement à l’Éternité qui va alors vous traverser. Le café aura meilleur goût, le sexe aussi, et la journée sera meilleure. »

Sigridur-Hagalin-Bjornsdottir-livre1 | Aliette Armel
Sigríður Hagalín Björnsdóttir, Éruption, amour et autres cataclysmes

« Une géologue doit prédire et gérer une éruption volcanique aussi complexe dans son déploiement que terrifiante dans ses effets. Cette éruption va provoquer des répliques sismiques dans sa vie personnelle. L’écrivaine convoque tout un monde, portée par une écriture poétique, haletante et érudite. » (Yann Brancherie)

La musique

La musique joue effectivement un rôle essentiel pour Jón Kalman Stefánsson. « Quand j’écris, la musique et les mots fusionnent. Je perçois la langue comme de la musique ». La construction de ses romans relève également de la musique. « Je ne suis peut-être rien de plus qu’un musicien athée qui essaye d’écrire des romans ». Mon sous-marin jaune, il l’a écrit peut-être pour faire savoir aux quatre Beatles tout ce qu’ils ont fait ensemble, Jón Kalman et eux, depuis des décennies. « On est des amis très proches depuis que je suis gamin. Par contre, eux, ils n’étaient pas tout à fait au courant. J’ai écrit ce livre pour le leur faire savoir, aussi bien aux Beatles encore vivants qu’à ceux qui sont morts. Parce qu’on écrit aussi pour les morts. Il n’y a absolument aucun argument qui puisse contredire le fait que les défunts, eux aussi, lisent des livres. Tant que le contraire n’est pas démontré, on a le droit d’y croire ! »

Quant à Sikká, son livre s’ouvre et se ferme au son de la Pavane pour une infante défunte. Selon une théorie scientifique, explique-t-elle, avant de maîtriser le langage articulé, l’être humain a chanté. La musique est l’art qui nous touche au plus profond. Et à chaque fois qu’elle écoute la Pavane, elle se met à pleurer, alors elle a utilisé cette danse lente, au début et à la fin du livre pour atteindre « le monde émotionnel de ses lecteurs ».

Conclusion

Au final, Yann Brancherie, a remercié Sikká « d’écrire ses joies, ses peines, ses doutes et ses amours dans ce monde en proie au chaos » et Jón Kalman « pour nos pères, nos mères et nos amis que vous rappelez à notre mémoire et à la vie dans l’espace de vos livres ». Puis Eric Boury pour avoir « merveilleusement traduit toutes nos paroles ».

La conclusion a appartenu à Jón Kalman répondant à la dernière question d’un lecteur sur leur rapport à l’Islande : Il y a des écrivains qui emportent la terre qui les a vus naître partout où ils vont. Ce phénomène est peut-être encore plus fort quand vous êtes né sur une île, isolée comme l’Islande. L’Islande s’exprime sans doute dans tout ce que nous écrivons. »

Références

  • Jón Kalman Stefánsson, Mon sous-marin jaune, trad. par Éric Boury, éd. Christian Bourgois, 2024
  • Sigríður Hagalín Björnsdóttir, Éruption, amour et autres cataclysmes, trad. par Éric Boury, éd. Gaia, 2024

J’ai assisté à cet entretien à la Librairie Le Divan, le 14 janvier 2024. Les propos que je cite n’ont pas été relus par leurs auteurs. Je les ai transmis le plus fidèlement possible à partir de l’enregistrement audio de l’événement et donc de la traduction en direct par Eric Boury des réponses de Jón Kalman Stefánsson et de Sigríður Hagalín Björnsdóttir aux questions de Yann Brancherie.

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  1. Legrand 29 janvier 2024 à 8 h 53 min-Répondre

    Merci , l’islande est un poème un récit épique , une lutte entre les éléments le feu, la glace ….

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