
Musée Duras. C’est ainsi que s’intitule l’expérience théâtrale à laquelle Julien Gosselin convie les spectateurs tout autant que la quinzaine de jeunes comédiens qui, à l’Odéon-Berthier, jouent, performent, chantent, glissent sur la scène comme des lianes, tournent des vidéos, s’expriment en cinq langues, murmurent une douleur sans fin, crient leur désir d’exister et de d’aimer tout en s’affrontant à la mort…
Entraîner le spectateur dans le mouvement des interprètes
Les spectateurs, eux, sont confrontés à un vaste espace blanc en perpétuelle mutation au fil des 11 propositions scéniques ponctués par des interruptions de 10 minutes au décompte implacable. Ils sont conviés à entrer, sortir, s’allonger, s’asseoir, fermer les yeux, puis les ouvrir, se tenir debout sur la scène et marcher, en mettant dans les oreilles des bouchons pour éviter les coups de boutoir d’une musique électro qui secouent les corps et vident les têtes de toute possibilité de s’accrocher à des clichés, à des anathèmes tels que pourraient prononcer des « durassiens canal historique »… auxquels je devrais me sentir liée, moi qui, à deux ans près, ait atteint l’âge qui était le sien lorsque je dialoguais avec elle, et qu’elle exprimait sa peur qu’à soixante-seize ans, on la dise « vieille ».
Entraîner une œuvre « muséale » dans le mouvement de sa propre modernité
Entraîner une œuvre « muséale » dans le mouvement de sa propre modernité
Ceux qui aujourd’hui interpellent Duras sur la scène des Ateliers Berthier sont indiscutablement dans la fougue de la jeunesse, et d’un talent tellement saisissant qu’ils imposent les propositions innovantes que Julien Gosselin a construit avec eux.
Pourtant, tout vient d’elle, Duras. Sur les écrans géants, défilent les mots-clés rappelant les obsessions de la femme, Marguerite, et de son œuvre telle qu’elle l’a écrite avec ses blancs, ses ruptures, ses transgressions, cette abolition des frontières entre les genres…
Le sexe, la violence, la folie, l’alcool, la passion pour « l’homme atlantique » confrontée à « La maladie de la mort », le manque, le blanc, l’absence, les faux souvenirs, l’injustice sociale, la maison, l’émancipation du milieu bourgeois, les visages et les corps, la puissance des femmes jusqu’au plus extrême de la déréliction et l’omnipotence du langage et de l’art.
Tout est là
Tout est là. Transmis, transmué dans des formes résolument contemporaines dont Duras elle-même, a disséminé des jalons prémonitoires dans ses partis pris d’écriture et ses formulations péremptoires.
Son œuvre peut ainsi accéder à cette intemporalité du processus muséal inédit proposé par Julien Gosselin qui introduit « l’infini dans le mortel de la vie », et se dresse au-dessus du « corps mort du monde et de même sur le corps mort de l’amour » (L’Été 80, Minuit, p. 67).
Références
- Musée Duras, d’après Marguerite Duras, mise en scène et scénographie Julien Gosselin
9-30 novembre 2025 – Odéon-Ateliers Berthier (Paris 17ème)
Durée 10 heures : cinq persformances de deux heures à voir en continu ou séparément. - Trésors de la Littérature, numéro spécial Marguerite Duras (en kiosque le 18 décembre 2025)
Article d’Aliette Armel : Duras aujourd’hui : une figure littéraire puissante - Aliette Armel
- Marguerite Duras et l’autobiographie, Castor Astral, 1990, réédition 1996
- Marguerite Duras : les trois lieux de l’écrit, Christian Pirot, 1998
- En compagnie de Marguerite Duras, Le Passeur, 2018
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